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PHI Artiste Centre Collectionpermanente Arthur Jafa Bloods Vivien Gaumand

Arthur Jafa

Bloods - 2019

Épreuve (au jet d’encre) Epson fine-art marouflée sur aluminium
132.1 × 224.4 cm
Collection Miles Greenberg

Photo: Vivien Gaumand

Vincent Bonin sur Arthur Jafa

Au premier abord, nous arrivons difficilement à identifier les sujets représentés dans le diptyque Bloods (2019) d’Arthur Jafa, même s’il s’agit de personnages connus. L’artiste y a jumelé une photographie du bluesman Robert Johnson avec un cliché du jazzman Miles Davis. Tous deux ont été pris à la fin des années 1930. Le titre ne nous transmet pas cette information et la fortune critique de Jafa fait fi d’un commentaire sur cette œuvre transitoire, voire marginale, de son corpus surtout constitué de vidéos. Bien que l’on puisse facilement retrouver les images en ligne, il y a là peu de renseignements afin d’éclairer les circonstances de leur production au siècle dernier. À ce jour, seulement trois portraits de Johnson ont été répertoriés, tandis qu’il en existe plusieurs centaines de Davis en circulation. Le diptyque convoque des moments de la trajectoire des musiciens avant que ceux-ci deviennent visibles auprès d’un vaste auditoire. Lors de la disparition de Johnson en 1938, à l’âge de 28 ans, Davis avait 11 ans. Ils ne se sont donc, vraisemblablement, jamais rencontrés. Les clichés originaux ont été néanmoins recadrés par Jafa pour que la proximité des têtes des modèles donne l’impression qu’ils partagent le même lieu. Ce tour d’optique de l’intimité fictive est amplifié peut-être à cause des fonds semblables des cabines des photographes contre lesquelles se détachent les visages. En 2021, Jafa a conçu Bloods II, qui, cette fois, présente Johnson avec Davis maintenant d’âge adulte, fumant, lui aussi, une cigarette. Dans l’ouvrage Magnumb en 2021, Jafa a reproduit en double page les diptyques de Bloods et une nouvelle juxtaposition : le portrait du jeune Davis et l’image d’un enfant anonyme, dont on ne voit que les yeux. En 2021, Jafa a annoncé le projet d’un film de montage autour de Johnson (« the first rock n roll artist », lit-on en légende du fichier Vimeo de la bande d’essais sous le titre de travail Die Alta). Jafa a composé ce segment expérimental selon une technique d’assemblage qu’il a nommée « Black Visual Intonation ». Il a également utilisé le procédé pour réaliser sa vidéo la plus connue Love is the message, the message is death, de 2016, où s’enchaînent en alternance les moments de luttes et d’émancipation du peuple afro-américain. Dans Die Alta, parmi toute une pléthore de sources visuelles et sonores, Jafa fait apparaitre le cliché de Johnson issu de la série Bloods près d’une icône de Jésus. Par la permutation de ces quelques photographies de Davis et de Johnson, Jafa a établi une petite constellation dans laquelle on peut lire beaucoup plus que le contenu distillé à partir des documents pris isolément. L’artiste signale, en revanche, l’écueil de la méthode comparative par défaut, qui place un ensemble de protagonistes de périodes différentes sous une rubrique englobante (ici la musique noire). L’intitulé Bloods fait ironiquement allusion au groupe de rue de Los Angeles nommé ainsi, car ses membres portent des vêtements de couleur rouge devenus dénominateur commun. De ce fait, avec ce détour allégorique, Jafa pose les limites de notre imagination lorsque nous allons à la rencontre des photographies de Johnson et Davis, sans légende. La conversation posthume des musiciens demeure également en suspension dans l’espace liminaire des associations libres, celles de l’artiste et celles du spectateur.

À propos de l'artiste

Arthur Jafa (né en 1960 à Tupelo, Mississippi, États-Unis) est un artiste (afro-)américain qui vit et travaille à Atlanta, en Géorgie. Élevé à une époque où la ségrégation était encore la norme, Jafa s’intéresse depuis toujours aux légendes noires du jazz telles que Miles Davis. Ses films, ses images, ses collages et ses objets sculpturaux réalisés dans un style lyrique et disjonctif, principalement à partir de matériaux trouvés, jouent sur le choc, l’horreur, le traumatisme et la transcendance avec une impulsion transgressive. Son travail aborde les histoires et les tensions raciales dans la culture américaine et met en avant ce qu’il appelle le « blacknuss ontologique » et les visions de la « chosification » des corps noirs dans cette même culture.

Figure-Fond

Bloods d'Arthur Jafa est présentée dans le cadre de Figure-Fond, une sélection d'œuvres de la collection de PHI qui explorent la figure et la corrélation complexe et intime qu'elle établit avec son fond.