À la suite de nombreuses années de réflexions théoriques et d’actions concrètes, il est intéressant de se pencher sur l’état actuel du projet de démocratisation des arts, de la culture et des institutions muséales dans le contexte québécois. Les lieux ou les contenus artistiques et culturels sont-ils désormais accessibles? Si oui, quels groupes d’individus cette accessibilité concerne-t-elle?
Selon la plus récente enquête publiée sur les pratiques culturelles des Québécois·es, effectuée par le ministère de la Culture et des Communications (MCC), les personnes qui fréquentent les musées d’art sont éduquées et fortunées [4]. Les données de 2014 indiquent effectivement, dans un premier temps, que la majorité des visiteurs·euses détient au moins un diplôme d’études collégiales (DEC) et plusieurs ont même un diplôme universitaire. Dans un second temps, une corrélation s’observe entre le nombre de visites et les rémunérations: plus les gens ont des revenus élevés, plus ils fréquentent les musées d’art dans une année. Les données démographiques de 2015 sur la population québécoise, quant à elles, révèlent que 50% des ménages disposent de revenus annuels de 60 000$ et plus [5]. Puis, pour ce qui est du niveau de scolarité au Québec, en 2016, on compte 48% d’individus âgés de 25 à 64 ans qui possèdent au moins un DEC, dont 29% qui ont un diplôme universitaire.
Bien que ces données illustrent qu’un certain degré d’éducation de même qu’une sécurité financière existent chez plusieurs Québécois·es, l’enquête du MCC révèle qu’il n’y a que 18% des ménages qui confirment visiter le musée d’art quelques fois dans l’année, environ une fois par mois ou bien au moins une fois par semaine. Par ailleurs, si l’on pose un regard uniquement sur les données des ménages qui ont un revenu annuel de 60 000$ et plus, on remarque qu’il n’y a que 22% d’entre eux qui visitent ces institutions artistiques à plusieurs reprises dans une année. En d’autres termes, ce sont près de 4 familles sur 5 dans la province dont les moyens financiers sont supérieurs à la médiane qui ne fréquentent pas les musées d’art, ou alors très peu. Tout compte fait, on peut s’interroger sur l’efficacité des mesures d’accessibilité mises en place si même une majorité de la portion des Québécois·es relativement éduquée et fortunée ne fréquentent pas nécessairement les musées d’art.
De façon générale, on pourrait lier cette notion d’accès aux coûts, à la proximité ou encore à l’adaptabilité des lieux et des contenus pour les individus ayant des besoins particuliers. Il s’agit notamment de la mise à disposition d’ascenseurs pour les personnes à mobilité réduite ou encore d’audioguides. Puis, on pourrait aussi penser aux moyens de transport disponibles pour se rendre sur place, aux heures d’ouverture, aux langues utilisées, à la présence de vestiaires, de stationnements, d’aires de repos ou de zones familiales, etc. Dans le cadre des musées d’art, compte tenu du niveau d’abstraction de certaines propositions, l’accès semble aussi renvoyer à la capacité à comprendre la vision des artistes ou à interpréter les contenus culturels, voire à se les approprier. Par conséquent, les personnes dont le capital financier et le niveau de scolarité sont suffisamment élevés seraient vraisemblablement en mesure de pallier ces difficultés relatives à l’accessibilité. Autrement dit, elles auraient sans doute la capacité de se rendre sur place, de payer les frais d’admission et de transport, d’entrer dans une démarche pour déchiffrer les œuvres, etc. Ainsi, on peut se demander pourquoi même le public pour qui le musée d’art est soi-disant accessible ne le visite pas ou presque.
Plusieurs hypothèses peuvent, certes, être formulées à cet égard. On peut notamment penser à l’omnivorisme, au marché concurrentiel de l’industrie culturelle et de celle des loisirs ou encore au temps libre restreint au sein des ménages où le travail occupe de nombreuses heures qui servent à subvenir aux besoins personnels et à ceux de la famille. Or, il est intéressant de poser une réflexion en ce qui concerne l’information et l’intérêt: est-ce que les Québécois·es sont au courant des activités muséales ou est-ce qu’ils ou elles ont envie d’aller visiter les musées d’art? Comment la culture s’intègre-t-elle au quotidien des citoyens·nes?
Comme le sociologue Jean-Marie Lafortune l’évoque, la médiation culturelle se développe au sein de trois secteurs d’intervention des politiques publiques, soit pour la démocratisation de la culture, la démocratie culturelle et l’éducation artistique. Les questions posées plus tôt suscitent plus particulièrement une discussion concernant l’éducation artistique. Selon le chercheur, celle-ci est soutenue par «les acteurs·rices de l’éducation formelle et informelle», puis elle répond à trois objectifs: «permettre aux élèves et aux étudiants·es, mais plus largement à tous·tes les citoyens·nes, de se constituer une culture personnelle riche tout au long de leur parcours scolaire et de vie; développer et renforcer leurs pratiques artistiques; permettre la rencontre avec des artistes et des œuvres ainsi que la fréquentation de lieux culturels [6]». La relation de nature éducative entre les Québécois·es et la culture est-elle suffisamment nourrie pour qu’un réel intérêt soit semé dans la population à l’égard des musées d’art ou, du moins, afin que ces institutions soient connues des citoyens·nes?
La Loi sur l’instruction publique établie par le Gouvernement du Québec révèle le temps qui doit être alloué aux diverses activités d’enseignement et la répartition des heures parmi les différentes disciplines. Au sein du régime pédagogique de l’éducation préscolaire, de l’enseignement primaire et de l’enseignement secondaire, on observe globalement que le temps consacré aux arts ne représente qu’une faible portion des activités dans l’ensemble des programmes de formation. De plus, les élèves, selon leur cycle d’études, suivent des cours qui ne sont en lien qu’avec une ou deux disciplines issues du domaine général des arts, soit l’art dramatique, les arts visuels, la danse ou la musique (voir tableau 1) [7].