Comment l'idée d'une exposition XR à grande échelle a-t-elle émergé?
PHOEBE: Nous avions une occasion extraordinaire de présenter ces images brutes tournées dans l'espace. Les caméras de réalité virtuelle de Felix & Paul sont les seules caméras RV de la station spatiale. Nous avions vraiment une énorme responsabilité quant à la contextualisation de l'expérience de ces images transformatrices. L'expérience du visiteur était aussi importante. Dans le contexte de cette exposition, nous avons créé un parcours libre grâce à l'utilisation d'avatars et d'une image filaire de l'ISS. Ainsi, non seulement vous sentez que vous marchez dans l'ISS et dans ses dimensions, mais vous voyez d'autres personnes avec vous, qui sont des avatars que nous percevons à travers le contenu et à travers l'interactivité de la technologie. C'est donc une véritable aventure.
Nous n'avions pas seulement la technologie, mais aussi une ligne narrative qui nous a aidés à entrer dans ce monde. Nous avons essayé de trouver un langage qui rende la relation entre les images réelles captées dans la ISS et ce que nous vivons dans le monde physique aussi poreuse que possible, afin que le visiteur n'ait pas l'impression de s'en remettre uniquement à la technologie pour comprendre l'histoire, mais qu'il fasse réellement l'expérience de la poésie de la quête humaine.
Quels ont été vos défis en tant que créatrices?
MARIE: C’est un travail très collectif : il y a énormément de personnes aux compétences spécifiques impliquées dans le développement d'une telle expérience. Alors vous devez apprendre à lâcher prise et à compter les uns sur les autres.
PHOEBE: Nous sommes devenues les gardiens de la poésie. Comme Marie l'a suggéré, l'équipe a prototypé de nombreux éléments à partir de ces images exclusives. C'est un accomplissement vraiment étonnant, juste dans le monde technique. Quand je dis « gardiens » de la poésie, je le dis avec humour, mais nous voulions nous le rappeler sans cesse pour qu’elle ne soit pas perdue en chemin parmi les exigences techniques et la manière de concevoir ces détails qui relèvent vraiment de la technologie et de la science. Nous voulions conserver la vision fondamentale selon laquelle il s'agit d'une expérience poétique et humaine.
MARIE: J'ai ressenti comme une responsabilité, en plus de celle d'artiste, de protéger la cohérence de l'expérience et de développer une proposition où chaque élément de l'ensemble de l'expérience a du sens et trouve sa place dans la construction de cette histoire.
PHOEBE: Oui. Un des avantages de notre boîte à outils reposait sur le fait qu’elle ne comprenait pas d'artefacts. La monumentalité d'une fusée ou d'une navette spatiale n'existait donc pas. Notre boîte à outils a consisté à réfléchir à la façon dont nous allions utiliser les éléments architecturaux et les éléments de lumière et de son. Ce n'est pas vraiment différent des éléments que l'on peut trouver dans le théâtre. Nous nous sommes toutefois appuyés sur les aspects poétiques de cette expérience pour soutenir le contenu de la station spatiale au lieu de nous appuyer sur ces éléments qui ne sont qu'une compréhension plus académique de l'histoire de l'exploration spatiale.
MARIE: J’ai trouvé magnifique la façon dont Félix et Paul se sont impliqués et ont fait participer les astronautes à cette expérience. Les astronautes manipulent eux-mêmes la caméra dans l'ISS. Ils répondent aux questions, mais ils deviennent aussi des créateurs d'une certaine manière. On a vraiment l'impression qu'il s'agit de simples humains qui partagent leur expérience de ce voyage et de ce spectacle extraordinaire. On ne voit pas les scientifiques en eux.
Les idées les plus incroyables ont pu être réalisées avec L'INFINI. Parlez-nous de votre expérience en tant que directrice de création.
ANNABELLE: C’est l’histoire d’une histoire – de plusieurs histoires, en fait – qui jettent les bases de celle qui est racontée ici et qui la façonnent. C'est aussi la rencontre entre un millier de visages qui se concentrent sur un seul projet, entre tous ces gens qui se sont réunis et ont donné le meilleur d'eux-mêmes pour créer une expérience unique, même durant une année qui a réservé tant de surprises.
Quand je suis arrivée à bord de L’INFINI (qui n’avait pas de nom encore à ce moment-là), l'idée de base reposait sur la création d’un projet unique, composé de quatre artistes de renom, Phoebe Greenberg, Félix Lajeunesse, Paul Raphaël et Marie Brassard. En s’apprêtant à travailler ensemble pour la première fois, notre petit groupe débordait de rêves, d'histoires et d'énergie. Il y avait également le contenu étonnant, produit par Felix & Paul Studios. C’était tout ce qu'il fallait pour faire naître cette idée qui allait mener à un voyage aussi exceptionnel et merveilleux. Au cours des semaines et des mois qui ont suivi, L’INFINI s'agrandissait, tout comme son équipe, qui a fini par atteindre plus de 70 personnes. Malgré leurs nombreuses différences, ces personnes avaient une chose en commun : elles avaient accepté de se joindre à nous et de travailler en dehors de leur zone de confort. Nous improvisions tous, guidés par notre seul instinct: personne n'avait jamais fait ce que nous nous apprêtions à faire.
En tant que directrice de création, mon rôle consistait à sauvegarder la vision créative du projet, à s'assurer qu’elle soit transmise et cohérente. Une fois que le quatuor de base avait posé les fondations, il m'incombait de veiller à ce que cet arc narratif soit respecté et préservé par l’équipe créative composée, à son apogée, de 17 personnes. J'avais l'impression d’être un chef d'orchestre qui devait veiller à ce que, de la conception initiale à la production, les musiciens jouent à l'unisson toutes les notes d'une composition destinée à la scène.
La lumière, le rituel, l'attrait des étoiles, le voyage, l'adaptabilité, le vertige, les trous noirs, la transformation sont autant de thèmes sur lesquels les artistes se sont penchés dès le départ pour concevoir un fil narratif. Après des recherches substantielles, de multiples itérations, d'interminables allers-retours, ils ont développé le design et l'expérience d’une grande finesse.
L’INFINI commence par l'installation d'un casque. À partir de là, il devient tour à tour la représentation du départ vers la lumière; un coucher de soleil vu depuis l'orbite; la rencontre avec 16 astronautes à bord d'une station spatiale; un moment magnifique d’apesanteur à couper le souffle à l'intérieur de la Cupola, le module d'observation panoramique de la station; un regard puissant à l'intérieur d'un trou noir, tel qu'imaginé par l'artiste Ryoji Ikeda; un voyage à travers un vortex, un miroir de l'infini revisité; et enfin, un retour sur Terre, avec la vision à jamais transformée qu’a le visiteur de notre planète.
Un projet comme celui-ci comporte de nombreux défis, qui sont à la hauteur du plaisir vertigineux que procure le miroir de l'infini et de celui d'avoir eu la chance d'y participer. Projet ambitieux et de grande envergure, L’INFINI est le reflet de son équipe et de son contenu, qui est un mélange diversifié de visions et d'horizons qui, en fin de compte, s'est fondu dans une œuvre d'une remarquable unité.
Loin d’être passif, le visiteur est un participant actif dans l’expérience, il peut bouger et sentir. Est-ce qu'on peut parler d'un nouveau type de relation entre l'œuvre et les visiteurs ? En ce sens, en quoi l'INFINI se distingue-t-elle d'autres expériences dites immersives?
ANNABELLE: Le visiteur qui expérimentera L’INFINI fait vraiment partie de l’expérience et est un acteur dans la visite. On fait appel à lui pour beaucoup d'interactions, mais il doit aussi faire des choix et prendre des initiatives. C’est cette participation qui démarque L’INFINI des autres expériences immersives.
La trame narrative est présente du début à la fin, mais l’histoire est vécue différemment par chaque visiteur, qui peut choisir son contenu. Après 50 minutes de visite, celui-ci n'aura pas l'impression d'avoir vécu plusieurs histoires, mais bien une seule, qui comporte un début, un milieu et une fin.
De quelle manière la scénographie et la technologie créent-elles l’interactivité?
ANNABELLE: La scénographie est au service de l'expérience en réalité virtuelle et elle doit contribuer à la trame narrative de la visite globale. Les visiteurs doivent avoir confiance en ce qu'ils voient et faire la différence entre ce qui est construit et ce qui ne l'est pas. Les codes visuels créés à cet effet prennent tout leur sens lorsqu'à la fin de l'expérience, ils doivent aller s'asseoir sur une chaise spécialement conçue pour le film en réalité virtuelle.
Pourquoi l'œuvre exclusive de Ryoji a-t-elle été ajoutée à l'expérience?
ANNABELLE: Ryoji Ikeda est notre artiste invité. Il propose une œuvre exclusive au sein de l'expérience. Très tôt dans le projet, il a participé à un brainstorm avec l'équipe créative. Nous voulions qu'il sente qu’il faisait partie intégrante du projet et qu’il n’était pas simplement un ajout. Ryoji a été choisi parce que son travail intègre le son, les images, la physique et les mathématiques. Il allie démarche artistique et démarche scientifique pour un résultat à chaque fois époustouflant et très ancré dans l'art contemporain. Ryoji assure aussi la signature sonore globale de l'expérience.